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Interview publie le 15 mars 2016 dans Pravda Report

Lavocat norvgien, le Professeur Mads Andens, est un juriste chercheur et Rapporteur Spcial de lONU sur la dtention arbitraire; il sigeait depuis 2009 au Groupe de Travail des Nations Unies sur la Dtention Arbitraire (GTDA), un panel dexperts qui a appel les autorits sudoises et britanniques mettre un terme la privation de libert de Julian Assange, respecter son intgrit physique et sa libert de mouvement, ainsi qu lui laisser la possibilit de rclamer des compensations.

M. Assange, tout dabord dtenu en prison puis assign rsidence, sest rfugi lintrieur de lAmbassade dquateur Londres en 2012 aprs avoir perdu son appel devant la Cour Suprme du Royaume-Uni contre son extradition vers la Sude, o une enqute judiciaire a t initie contre lui en rapport avec des allgations de comportement sexuel illgal. Toutefois, il na pas t formellement mis en accusation.

Dans le rendu de son opinion officielle, le Groupe de Travail a considr que M. Assange avait t soumis diverses formes de privation de libert: la dtention initiale la prison de Wandsworth Londres, suivie dune assignation rsidence puis ensuite la rclusion dans lambassade quatorienne.

Selon un communiqu de presse mis par le Bureau de lONU du Haut Commissaire aux Droits de lHomme (OHCHR), les experts ont galement conclu que la dtention tait arbitraire parce que M. Assange avait t dtenu en isolement la prison de Wandsworth, et cause de la ngligence du Bureau du Procureur sudois dans ses investigations, qui ont abouti sa longue privation de libert.

Le Groupe de Travail a, en outre, tabli que cette dtention viole deux articles de la dclaration Universelle des Droits de lHomme, et six articles de la Convention Internationale sur les Droits Civiques et Politiques.

M. Assange, fondateur et rdacteur de WikiLeaks, a par ailleurs dvoil plus de 250 000 cbles diplomatiques secrets et confidentiels, mis par des ambassades US tout autour du monde.

Dans cette interview exclusive, le Professeur Andens commente sa participation au Groupe de Travail de lONU, expliquant pourquoi le panel dfend la libert pour M. Assange, et en prsentant les considrations juridiques entourant laffaire.

Il y a de nombreuses fautes de procdure qui ont t commises par les autorits , affirme le Professeur, qui commente galement son point de vue sur le rle que joue le fondateur de WikiLeaks dans la politique internationale, sur limportance de la solidarit mondiale envers lui, et comment il considre les rcentes rvlations de WikiLeaks: lespionnage US du Secrtaire-Gnral de lONU Ban Ki-Moon et de la Chancelire allemande Angela Merkel.

Le Professeur Andens, qui prsente galement dans cette interview sa perception de la couverture mdiatique mainstream concernant laffaire Assange, est professeur la Facult de Droit de lUniversit dOslo, lancien directeur de lInstitut Britannique de Droit International et Comparatif Londres et lancien directeur du Centre de Droit Europen de Kings College, lUniversit de Londres. Il est aussi Charg de Recherche lInstitut de Droit Europen et Comparatif de lUniversit dOxford, et Charg de Recherche Principal lInstitut dtudes de Droit Avanc de lUniversit de Londres.

Il a t le Rdacteur-en-Chef du Trimestriel de Droit International et Comparatif (Cambridge University Press), Rdacteur-en-Chef de la Revue de Droit des Affaires Europen (Kluwer Law International) et prsent dans les conseils de rdaction de dix autres journaux et sries de livres, dont la Srie Nijhoff sur le Droit Commercial International.

Il est Membre Honoraire de la Socit dtudes de Droit (Royaume-Uni), Membre de lAcadmie Internationale de Droit Commercial et du Consommateur (o il est membre du conseil), Membre Honoraire de lInstitut Britannique de Droit International et Comparatif, et Membre de lAcadmie Royale des Arts.

Il a t Secrtaire Gnral de la Fdration Internationale de Droit Europen de 2000 2002, Secrtaire de lAssociation Britannique de Droit Europen de 1997 2008 et Secrtaire du Comit Britannique de Droit Comparatif de 1999 2005. Il a t le Prsident de lAssociation des Instituts de Dfense des Droits de lHomme en 2008.

Edu Montesanti (EM): Cher Professeur Mads Andens, merci daccorder cette interview. Pouvez-vous sil vous plat nous parler de vos travaux au sein du Groupe de Travail sur la Dtention Arbitraire (GTDA), pendant la phase initiale de laffaire Assange devant les Nations Unies (ONU)?

Prof. Mads Andens (MA): Je sigeais au Groupe de Travail de lONU quand la plainte a t reue, et que les changes entre lONU et les parties se sont drouls. Je nai pas pris part aux discussions du Groupe de Travail qui ont abouti lopinion sur laffaire Assange. Mon mandat sest termin en aot 2015, et la dcision a t rendue en fvrier 2016.

EM: Pourquoi vous positionnez-vous en dfense de M. Assange?

MA: Je me suis exprim en soutien lopinion rendue par le Groupe de Travail de lONU. M. Assange est en tat de dtention arbitraire, le Royaume-Uni et la Sude devraient se plier la dcision de lONU leur encontre et prendre les mesures ncessaires pour mettre un terme cette dtention.

EM: Sil vous plat, Professeur, veuillez spcifier les accusations contre Julian Assange, et qui sont ceux qui les portent contre lui.

MA: Laffaire actuelle o il est question dextradition concerne des allgations de comportement sexuel illgal. videmment, les allgations relatives WikiLeaks comprennent un puissant intrt pour lappareil scuritaire de nombreux pays.

La crainte est quil ait t permis que celui-ci influence le processus et lissue de la premire affaire.

EM: Comment percevez-vous les allgations de Washington selon lesquelles Assange a mis en pril la scurit des USA?

MA: Ce sont des allgations qui sont habituellement prsentes face lexercice du droit prsenter des informations et du droit la libert dexpression. Il y a toutes les raisons dtre sceptique de ces prsomptions.

EM: Comment percevez-vous la dcision de lONU en faveur de la libration de M. Assange?

MA: Cest trs clair. Le GTDA de lONU avait trancher sur deux questions. La premire, dcider sil y avait eu une privation de libert plutt quune restriction de libert. La deuxime, dcider si cette privation de libert tait arbitraire.

Le GTDA de lONU a clairement accept largument que les conditions dans lesquelles vit Assange nont pas t imposes par lui-mme, cest--dire que sil faisait un pas dans la rue, il se ferait arrter. Il y a aussi eu un chec substantiel de la part des autorits pour exercer une diligence raisonnable dans lexercice de ladministration judiciaire (par. 98).

La frontire entre une restriction de libert et une privation de libert est finement dfinie dans la jurisprudence europenne des droits de lhomme. La privation de libert ne consiste pas seulement en des conditions aisment reconnaissables dincarcration par lEtat. Il faut prendre en compte le laps de temps quAssange est rest lintrieur de lambassade quatorienne, et ses circonstances prsentes.

La libert doit pouvoir tre exerce dans limmdiatet. Quand lexercice dune telle libert aurait des rsultats particulirement coercitifs, tels que davantage de privations de libert ou la mise en pril dautres droits, cela ne peut tre dcrit comme la pratique de la libert. Le fait quAssange rsiste une arrestation ne rsout pas le problme, puisque cela entendrait que la libert est un droit conditionn par sa coopration.

Assange nest pas libre de quitter lambassade quatorienne de son propre gr. Il craint lextradition vers les USA et un procs pour son implication avec WikiLeaks. Les autorits sudoises ont refus de fournir des garanties de non-refoulement qui rpondent cette crainte. La dtention dAssange est arbitraire. Une raison en est quelle est disproportionne.

Il existe dautres moyens de procdure moins restrictifs. Avant dmettre un Mandat dArrt Europen, les autorits sudoises auraient pu suivre la pratique courante dinterviewer Assange dans une salle dentretien de la police britannique.

Aprs quAssange eut tabli rsidence dans lambassade quatorienne ils auraient pu compter sur des protocoles dassistance mutuelle, interroger Assange par liaison vido, et lui offrir une chance de rpondre aux allgations portes contre lui.

EM: Sil vous plat, Professeur Andens, clarifiez le terme de privation de libert.

MA: La Convention Internationale de lONU sur les Droits Civiques et Politiques et la Dclaration Universelle des Droits de lHomme interdisent les privations arbitraires de libert dans leur Article 9. Cest plus quune simple restriction de libert. Cela inclut lassignation rsidence.

EM: Quelle est votre opinion sur le choix du Royaume-Uni et de la Sude de ne pas respecter la dcision de lONU?

MA: Les dcisions rendues par le GTDA de lONU ne sont pas toujours suivies par les Etats, mais elles aboutissent rarement en des attaques aussi personnelles, telles que celles faites par des politiciens britanniques aprs la dlivrance de lopinion sur Assange.

Je sais que les mots employs par le Ministre des Affaires trangres et par le Premier Ministre ntaient pas ceux qui ont t fournis par les fonctionnaires qui sont conseillers sur les droits de lhomme et sur le droit international. Les politiciens britanniques ont vis affaiblir lautorit de cet organe de lONU pour un bnfice opportuniste court terme.

Je crains que ces politiciens naient affaibli la possibilit, pour la communaut internationale, de protger certaines des victimes les plus vulnrables aux violations des droits de lhomme.

Leurs paroles ont circul au sein des Etats responsables des pires violations des droits de lhomme. Les paroles de ces politiciens britanniques coteront des vies et de la souffrance humaine.

Le Royaume-Uni peut exercer des pressions pour glaner quelque soutien quand laffaire est apporte devant le Conseil des Droits de lHomme des Nations Unies, mais le Royaume-Uni sera assurment critiqu par dautres Etats pour sa raction, et le mritera clairement.

Les dommages causs au Royaume-Uni lONU et son autorit morale en matire des droits de lhomme sont un autre sujet, mais il ne fait pas de doute sur les dommages faits lautorit du Royaume-Uni.

EM: Sil vous plat, Professeur, pouvez-vous commenter le statut actuel de lenqute prliminaire en Sude, ainsi que la mise en accusation en attente US contre WikiLeaks.

MA: Pour ceux qui sont convaincus quAssange est coupable de viol, que vous pensiez ou non quil fait son intressant en rsistant dlibrment son arrestation (ce qui nest pas mon cas), le fait demeure que les autorits pourraient employer des moyens moins restrictifs sans compromettre lenqute initiale sur les allgations portant sur son comportement sexuel en Sude.

Cest le moment de nous rappeler quAssange na pas t dclar coupable de viol: ce stade, le procureur et les tribunaux en Sude ont tabli que ces charges taient peut-tre fondes. Le Professeur Andrew Asquith, dOxford, a dclar dans une Opinion dExpert en 2011 laquelle lquipe dAssange a fait rfrence, que Je ne considre pas que le moindre des incidents allgus dans le contenu du Mandat dArrt Europen (cest dire les allgations cites dans le mandat darrt) suffise en lui-mme constituer un quelconque dlit selon la loi britannique.

Le Vice-Prsident de la Cour Suprme de Sude nous a rappel que laccus est prsum innocent jusqu ce que sa culpabilit soit dmontre, et que lorsquil y a des dclarations contradictoires, il revient aux tribunaux de dcider si les lments requis pour une mise en accusation sont satisfaisants.

Les tribunaux sudois, ainsi que la majorit de la Cour Suprme sudoise, le Vice-Prsident ntait pas sur ce panel, ont fait savoir que le mandat darrt, mme sil ne pouvait pas tre excut contre Assange, limitait sa libert dune manire ouvrant la question de sa proportionnalit. La majorit a not avec approbation que des mesures taient dsormais prises pour interroger Assange Londres.

Avec le temps, la Cour Suprme sudoise pourrait bien voir crotre sa sympathie pour le jugement dissident du Juge Svante Johansson, pour qui les conditions de lenqute sont dsormais disproportionnes (une opinion prsente par Anne Ramberg, directrice de lAssociation du Barreau sudois et par le Juge Charlotte Edvardsson, Juge rapporteuse de la Cour Suprme, dans sa proposition (publique) au tribunal dans cette affaire).

Assurment, lancien Conseiller Juridique aux Nations Unies et Conseiller Juridique du Ministre des Affaires trangres de Sude, Hans Corell, a dclar quil ne comprend pas pourquoi le procureur na pas interrog Julian Assange pendant toutes les annes o il a t lAmbassade dquateur.

Des esprits raisonnables et judiciaires ont diverg sur beaucoup de ces questions. Sans doute ont-ils t influencs par des opinions sur lintgrit dAssange lui-mme. Mais les droits de lhomme ne sont pas conus pour favoriser les plus populaires dentre nous; ils sont conus pour nous favoriser tous.

EM: Pourquoi pensez-vous que le gouvernement britannique agisse tellement en faveur des intrts US dans cette affaire?

MA: WikiLeaks a fait des contributions trs importantes notre connaissance du processus diplomatique et politique. Elles ont chang ma perception dvnements majeurs et dinstitutions. WikiLeaks fait quil est beaucoup plus difficile de nous manipuler.

La communaut du renseignement repose sur des mthodes de travail qui sont secrtement caches. Il y a de puissantes forces institutionnelles qui veulent mettre un terme aux activits de M. Assange. Ceci est vrai pour de nombreux pays.

EM: Que pensez-vous de lquateur en ce qui concerne M. Assange, et de limportance de la solidarit mondiale envers lui non seulement de la part dautres gouvernements, mais aussi de la part dactivistes et des citoyens en gnral, Professeur Andens?

MA: Le gouvernement de lquateur a fait une contribution trs importante la protection dune sphre publique internationale, ainsi qu la protection de la libert de linformation, de la libert dexpression et de la responsabilit face aux violations des droits de lhomme. Les expressions de solidarit en sa faveur, non seulement de la part dautres gouvernements, mais galement dactivistes et dautres autour du monde sont trs importantes.

EM: Comment valuez-vous lapproche des mdias grand public concernant les rvlations de WikiLeaks, particulirement en ce qui concerne la dcision Assange?

MA: Je mtais attendu une dfense plus muscle du droit fournir des informations et la libert dexpression. Mais les mdias dans tous les pays oprent en interaction complexe avec les gouvernements, pour prendre en compte les intrts de lEtat de faons diffrentes. Selon moi, dans cette affaire, avec trop dgards pour lintrt prsum de ltat.

EM: Quel est votre avis sur les rcentes rvlations de WikiLeaks despionnage US du Secrtaire Gnral de lONU Ban Ki-Moon et de la Chancelire allemande Angela Merkel, pendant une runion prive sur la stratgie face au changement climatique Berlin, ainsi que du Haut Commissaire des Nations Unies pour les Rfugis?

MA: Elles rvlent des pratiques totalement inacceptables. Elles justifient galement le travail de WikiLeaks.

Source: http://www.cercledesvolontaires.fr/2016/03/17/mads-andenaes-du-groupe-de-travail-de-lonu-sur-la-detention-arbitraire-explique-le-cas-assange/ et http://www.pravdareport.com/world/europe/15-03-2016/133811-assange_lawyer-0/

Traduit par Lawrence Desforges

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